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Après la publication de vidéos mettant en cause l’action des gendarmes lors d’une manifestation contre le projet de mégabassine à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), le 25 mars 2023, le ministre de l’intérieur, Laurent Nuñez, « a demandé au directeur général de la gendarmerie nationale d’ouvrir une enquête administrative », a fait savoir son entourage à l’Agence France-Presse (AFP).
Libération et Mediapart ont publié, mercredi 5 novembre, des vidéos provenant des caméras-piétons portées par les quelque 3 000 membres des forces de l’ordre mobilisés ce jour-là autour du chantier d’une réserve d’eau agricole, nommée « mégabassine », contestée par des milliers de manifestants. Le rassemblement, interdit, avait donné lieu à de violents affrontements entre militants et gendarmes. Face aux cocktails molotov et mortiers d’artifice, en un peu moins de trois heures, les gendarmes ont tiré plus de 5 000 grenades lacrymogènes et/ou explosives, et des dizaines de tirs de lanceurs de balles de défense (LBD).
Les deux médias ont eu accès à des dizaines d’heures d’images captées, ce jour-là, par les forces de l’ordre. Images à l’appui, Libération et Mediapart affirment que les forces de l’ordre ont multiplié les « tirs tendus » de grenades, une pratique dangereuse et interdite, encouragées à le faire par leur hiérarchie. « Tendu, tendu, tendu », « vous balancez un tendu s’il le faut », « on baisse le cougar [canon lanceur de grenades] les gars, on les nique là, allez », entend-on sur des extraits diffusés.
Les manifestants avaient fait état de 200 blessés dans leurs rangs dont 40 graves, deux restant plusieurs semaines dans le coma, et 45 gendarmes avaient été déclarés blessés, dont un brûlé aux jambes.
En juillet 2023, un rapport de la Ligue des droits de l’homme avait dénoncé de « nombreuses blessures » causées aux manifestants par un usage des armes « disproportionné » par les forces de l’ordre. Les autorités ont toujours assuré de leur côté que les gendarmes avaient riposté de façon adaptée.
« Je compte plus les mecs qu’on a éborgnés »
Libération et Mediapart dénoncent également dans le langage des gendarmes une « volonté » de blesser gravement des manifestants, et la « satisfaction », voire la « jubilation » qu’ils en tirent. « Je compte plus les mecs qu’on a éborgnés », « une GENL [grenade de désencerclement] dans les couilles, ça fait dégager du monde, hein », « t’en crèves deux-trois, ça calme les autres », « tiens, dans ta gueule, fils de pute », entend-on dire par exemple dans les enregistrements publiés. « Je m’attendais à ce que ça soit bien mais pas autant », « on n’a jamais autant tiré de notre life », « un vrai kiff », « je suis au nirvana, là, on est sur l’Everest de la [gendarmerie] mobile », lancent d’autres militaires.
Après des plaintes de blessés, le parquet à compétence militaire de Rennes avait ouvert une enquête, confiée à l’inspection générale de la gendarmerie nationale et toujours en cours. La DGGN a déclaré à Libération et Mediapart que « les enregistrements disponibles » avaient « été mis à la disposition exclusive de la justice », déclinant tout commentaire à leur sujet.
« Si ces images révélaient d’autres infractions pénales que celles dont il était saisi, la procédure prévoit que le service d’enquête en informe le parquet. Ce qui n’a pas été le cas », leur a répondu quant à lui le procureur de Rennes.
Dans un communiqué publié mercredi, les blessés ayant porté plainte ont déploré que « la manière dont a été conduite cette enquête laisse clairement apparaître l’intention de classer sans suite » la procédure. « Nous avons aujourd’hui les preuves audio et vidéo de ce dont nous nous doutions : les actes qui ont causé tant de blessures et fait frôler la mort à nombre d’entre nous ne sont pas l’œuvre d’individus particulièrement violents, mais découlent de l’ordre donné par une institution », ajoutent-ils.
« Mes clients réclament tous l’ouverture d’une information judiciaire. Pour qu’un juge d’instruction puisse compléter les investigations de l’IGGN qui sont très, très insuffisantes à ce stade », a dit à l’AFP leur avocate, Me Chloé Chalot.







7 commentaires
Les mégabasses divisent autant les militants écologistes que les agriculteurs. La violence ne résoudra rien, un dialogue s’impose.
C’est vrai, mais les tensions sont trop fortes pour un débat constructif. Quelles solutions alternatives existent ?
Les vidéos des gendarmes à Sainte-Soline soulèvent des questions sur l’usage proportionné de la force. Une enquête approfondie est nécessaire pour clarifier les faits.
Les manifestants ont également été violents. Une enquête doit être équitable pour tous.
D’accord, mais il faut aussi entendre la version des gendarmes. Leur sécurité était-elle vraiment menacée ?
5000 grenades en trois heures, c’est énorme. Est-ce vraiment nécessaire face à des manifestants ? J’aimerais comprendre la justification.
Les cocktails molotov lancés visaient les forces de l’ordre. La réponse policière a peut-être été excessive, mais elle avait un but.