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C’est l’histoire d’un homme dans la cinquantaine, auparavant en bonne santé, qui consulte pour l’apparition brutale d’un engourdissement du côté gauche et d’une instabilité à la marche. Il ne fume pas, ne consomme pas d’alcool et ne présente aucun antécédent de consommation de drogues, ces éléments constituant les seuls facteurs de risque abordés lors de l’interrogatoire initial.
A l’hôpital, l’examen clinique met en évidence une hypertension artérielle extrême : 254/150 mm Hg. L’examen neurologique révèle plusieurs anomalies : une hypoesthésie, c’est-à-dire une diminution de la sensibilité, touchant tout le côté gauche du corps, associée à des troubles de la coordination. Lorsqu’on demande au patient de toucher son nez avec son doigt, le geste est maladroit. De même, les mouvements alternatifs rapides des membres supérieur et inférieur gauches sont difficiles à exécuter.
Le score NIHSS, qui évalue la gravité d’un accident vasculaire cérébral, est de 4, ce qui correspond à un AVC léger. Il n’existe ni trouble du langage, ni perte du champ visuel, ni négligence spatiale (incapacité à prendre en compte une partie de l’espace), ce qui suggère que le cortex cérébral est épargné.
Un scanner cérébral initial ne montre ni hémorragie, ni infarctus évident. Ce n’est pas rare dans les toutes premières heures. L’angio-scanner, qui visualise les artères cérébrales, révèle en revanche des zones de spasme focal des artères, évocatrices d’un syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible (SVCR), associé à des rétrécissements de plusieurs artères cérébrales. Nous y reviendrons.
Ensuite, l’IRM cérébrale met en évidence un petit infarctus du thalamus droit. Le thalamus, structure profonde du cerveau, joue un rôle de relais des informations sensorielles et motrices. Le diagnostic d’AVC ischémique lacunaire thalamique droit est retenu, lié à l’obstruction d’une petite artère vascularisant le thalamus.
Chez cet homme sans facteur de risque cardiovasculaire connu, une exploration approfondie est entreprise. Les analyses biologiques de routine sont toutes normales. Les examens immunologiques spécialisés et les dosages hormonaux éliminent une maladie inflammatoire, un trouble de la coagulation ou une cause hormonale d’hypertension.
De même, l’électrocardiogramme sur 24 heures, l’écho-doppler des artères carotides, l’échographie cardiaque, ainsi que l’échographie abdominale et rénale et le scanner abdominal, ne montrent rien de particulier. Les reins et les glandes surrénales sont normaux. Aucune cause classique d’hypertension artérielle secondaire n’est identifiée.
Le patient reçoit un traitement standard de prévention secondaire de l’AVC, c’est-à-dire un traitement destiné à réduire le risque de récidive, avec une bithérapie par antiagrégants plaquettaires pendant trois semaines, puis du clopidogrel au long cours et une statine, ainsi qu’un traitement antihypertenseur comprenant deux médicaments.
À sa sortie de l’hôpital trois jours plus tard, il présente une pression artérielle de 170/80 mm Hg. Il a pour consigne de réaliser un auto-suivi tensionnel à domicile et de s’abstenir de conduire pendant un mois, dans l’attente d’une réévaluation.
Au cours des trois mois suivants, le patient est revu à plusieurs reprises. La récupération fonctionnelle est excellente, bien que les troubles sensitifs persistent et tendent à s’accentuer au fil de la journée. Plus préoccupante est la persistance d’une hypertension artérielle mal contrôlée, avec des valeurs systoliques constamment comprises entre 190 et 230 mm Hg, nécessitant, à une occasion, une nouvelle hospitalisation.
Plusieurs antihypertenseurs lui sont prescrits successivement et, au terme de quatre semaines, le patient est traité par cinq médicaments.
La question qui change tout
Lors d’un interrogatoire plus approfondi, une question jusque-là jamais posée change la compréhension du tableau clinique : « Consommez-vous des boissons énergétiques ? ».
Il s’avère que le patient consomme en moyenne huit canettes de boisson énergétique par jour, chacune contenant environ 160 mg de caféine pour 500 mL. Cela représente un apport quotidien de 1,2 à 1,3 gramme de caféine, soit plus de trois fois la dose maximale recommandée (400 mg par jour).
Une abstinence complète de boissons énergétiques est recommandée, l’hypothèse étant que cet apport massif en caféine puisse être, au moins en partie, à l’origine de l’hypertension artérielle du patient et, indirectement, de la survenue de son AVC.
Une semaine après l’arrêt des boissons énergétiques, les valeurs moyennes de la pression artérielle baissent, se situant entre 120 et 130 mm Hg pour la systolique et entre 80 et 84 mm Hg pour la diastolique. Les chiffres tensionnels restent normaux lors de la diminution progressive du traitement, permettant l’arrêt de tous les médicaments antihypertenseurs en trois semaines.
Les consultations de suivi à trois et six mois confirment une normalisation complète de la pression artérielle et une récupération neurologique complète, avec reprise du travail.
« Huit ans plus tard, la pression artérielle de ce patient demeure normale. Il ne consomme plus de boissons énergétiques et, hormis des troubles sensitifs résiduels du côté gauche, aucun nouvel événement vasculaire cérébral n’est survenu », précisent Martha Coyle et Sunil Munshi du Nottingham University Hospitals NHS Trust (Royaume-Uni), qui ont rapporté ce cas clinique le 9 décembre 2025 dans la revue en ligne BMJ Case Reports.
Des boissons fortement caféinées
Les boissons énergétiques sont des boissons non alcoolisées contenant plus de 150 mg de caféine par litre, généralement associées à une teneur très élevée en sucres et à des quantités variables d’autres substances (taurine, guarana, ginseng, glucuronolactone). Certaines de ces substances apportent une caféine « cachée », le guarana contenant environ deux fois plus de caféine que le grain de café. L’hypothèse avancée est que l’interaction de ces différents composants – notamment la taurine, le guarana, le ginseng et la glucuronolactone – potentialise les effets de la caféine, augmentant ainsi le risque cardiovasculaire et cérébrovasculaire.
Concernant les sucres, une étude britannique publiée en 2017 a montré que les boissons énergétiques contiennent en moyenne 38,5 g de sucre pour 100 mL, soit plus que l’apport journalier maximal recommandé au Royaume-Uni pour un adulte (30 g).
Plusieurs mécanismes peuvent augmenter le risque cérébrovasculaire
La caféine bloque l’action de l’adénosine, molécule favorisant normalement la dilatation des vaisseaux, et stimule la libération d’hormones comme l’adrénaline et la noradrénaline, entraînant une augmentation du débit cardiaque et de la résistance vasculaire périphérique, donc une élévation de la pression artérielle. Associée à la taurine et au guarana, cette réponse est amplifiée.
Des pics tensionnels brutaux peuvent entraîner des conséquences catastrophiques. Une étude publiée en 2017 dans The American Journal of Emergency Medicine avait attribué la survenue d’une hémorragie intracrânienne à une décharge du système nerveux sympathique provoquée par une boisson énergétique. Le patient, âgé de 57 ans, avait présenté des troubles sensitifs au niveau du bras et de la jambe droits, associés à une ataxie (trouble de la coordination), quelques minutes après avoir bu une bouteille d’une boisson connue pour sa forte teneur en caféine et en composés sympathomimétiques, des substances qui augmentent le volume d’éjection cardiaque et la pression artérielle.
Ce cas représentait alors le premier épisode rapporté d’hémorragie intracrânienne survenue après consommation d’une boisson énergétique très caféinée renfermant plusieurs de ces stimulants. En 2013 et 2015, une équipe turque avait déjà décrit des AVC ischémiques et des accidents ischémiques transitoires potentiellement liés à ce type de boissons.
Comme le soulignent les auteurs, « des enquêtes ont montré que la consommation de boissons énergétiques débute parfois dès l’âge de 13 ans. Chez les personnes en consommant quotidiennement pendant une semaine, l’élévation tensionnelle observée au septième jour est supérieure à celle mesurée le premier jour, suggérant un effet hypertensif cumulatif ». Et d’ajouter que chez un adolescent de 16 ans, une hypertension artérielle s’est normalisée en deux semaines après l’arrêt des boissons énergétiques, un tableau très proche de celui qu’ils rapportent.
Un autre mécanisme peut être impliqué : la dysfonction endothéliale, qui concerne les cellules qui tapissent l’intérieur des parois vasculaires. Elle pourrait être responsable d’une contraction excessive des vaisseaux sanguins. L’impact des boissons énergétiques sur la fonction endothéliale, en tant que facteur de risque d’AVC, demeure cependant incertain et dépend probablement de la dose, de la composition et de la fréquence de consommation.
Les AVC ischémiques, dus à un défaut de perfusion sanguine, représentent environ 85 % de l’ensemble des AVC. Leur mécanisme central est une augmentation de l’agrégation des plaquettes sanguines, qui conduit à la formation de caillots qui migrent jusqu’au cerveau. Les effets combinés de la caféine et de la taurine peuvent créer un état d’hyperagrégabilité plaquettaire transitoire, favorisant un AVC chez des individus présentant une vulnérabilité cardiovasculaire préexistante.
Les effets cardiaques de la caféine sont bien documentés : stimulation du système sympathique, hausse de la dopamine, libération accrue de noradrénaline, et accumulation intracellulaire de calcium. Ensemble, ces phénomènes augmentent la probabilité de développer une arythmie, notamment une fibrillation atriale (FA). Ce trouble du rythme, qui entraîne une contraction très rapide des oreillettes, est responsable de 20 % à 25 % des AVC ischémiques.
Des médecins américains et espagnols ont décrit ces dernières années le cas d’adolescents âgés de 13 à 16 ans, jusque-là en bonne santé, présentant une fibrillation atriale d’apparition brutale après ingestion de boissons énergétiques.
De même, une fibrillation atriale chronique et une cardiomyopathie induite par ce trouble du rythme ont été rapportées en 2007 dans le Journal of Medical Case Reports chez un Britannique de 58 ans, qui travaillait de longues heures comme chauffeur de taxi. Il avait consommé quotidiennement une boisson énergétique fortement caféinée pendant six mois (soit environ 4 000 mg de caféine par semaine). Les deux affections ont régressé après six mois d’abstinence.
Syndrome de vasoconstriction cérébrale
La caféine et la taurine sont des substances vasoactives pouvant provoquer des spasmes transitoires des artères cérébrales, comme observé chez ce patient pris en charge à Nottingham.
Le syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible (SVCR) se caractérise par une céphalée aiguë, typiquement « en coup de tonnerre », et par un rétrécissement transitoire des artères cérébrales, visible à l’imagerie sous la forme d’un aspect « en collier de saucisses », c’est‑à‑dire une alternance de segments rétrécis et dilatés sur les artères cérébrales.
Deux autres cas de SVCR ont été récemment rapportés dans un contexte de consommation excessive de boisson énergétique, l’un en avril 2025 par des médecins marocains dans la Revue Neurologique, l’autre en juin 2025 par une équipe américaine dans la revue Neurological Sciences.
« Une exposition répétée à ces substances pourrait par conséquent favoriser la survenue de vasospasmes transitoires, entraînant une instabilité de la perfusion cérébrale et des AVC secondaires », indiquent les auteurs. Selon eux, « une consommation, aiguë comme chronique, de boissons énergétiques pourrait accroître le risque de maladies cardiovasculaires et d’AVC, un risque qui, point important, semble potentiellement réversible ».
Ce cas clinique illustre que, chez les patients présentant une hypertension inexpliquée ou un AVC sans cause évidente, la consommation de boissons énergétiques doit faire partie intégrante de l’interrogatoire. Plus largement, il montre que ces produits ne sont pas de simples sodas « stimulants », mais des cocktails pharmacologiquement actifs, surtout lorsqu’ils sont consommés en grande quantité et sur la durée. Leurs effets cardiovasculaires méritent une vigilance accrue, tant de la part des professionnels de santé que du grand public.
« Le renforcement de la réglementation des ventes et des campagnes publicitaires des boissons énergisantes (qui ciblent souvent les jeunes) pourrait être bénéfique pour la santé future cérébro-vasculaire et cardiovasculaire de notre société », concluent les auteurs.
Au Royaume-Uni, la vente de boissons énergétiques aux moins de 16 ans n’est pas encore interdite par la loi, mais elle fait l’objet de restrictions volontaires de nombreux distributeurs, ainsi que d’un projet d’encadrement légal en cours d’élaboration. Dans ce pays, des travaux montrent que jusqu’à un tiers des enfants âgés de 13 à 16 ans, et près d’un quart de ceux de 11 à 12 ans, consomment une ou plusieurs de ces boissons chaque semaine. Toujours au Royaume-Uni, environ 100 000 enfants consomment au moins une boisson énergisante fortement caféinée chaque jour.
Entre un simple « coup de fouet » énergétique et un « coup de tonnerre » neurologique, il n’y a parfois qu’un excès de canettes.
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16 commentaires
Ce patient a eu de la chance, un AVC plus grave aurait pu avoir des conséquences irréversibles.
Tout à fait, prévention et vigilance sont essentielles.
Je me demande si les fabricants mentionnent vraiment les risques sur les étiquettes.
Observons, ils minimisent souvent les effets secondaires.
Les symptômes neurologiques détaillés dans cet article m’inquiètent. Les AVC légers peuvent avoir des conséquences durables.
Exact, une prise en charge rapide est cruciale pour limiter les séquelles.
Un rappel que la santé n’est pas un sujet à prendre à la légère, même pour les produits apparemment anodins.
Tellement vrai, il faut toujours faire attention à ce qu’on ingère.
Il est surprenant de voir à quel point une seule consommation excessive a pu provoquer une hypertension si sévère.
Oui, et cela rappelle l’importance d’un interrogatoire détaillé sur les habitudes de consommation.
Voyez-vous cela autrement, pourraient-il y avoir d’autres facteurs qui ont contribué à cet AVC ?
Possible, mais l’article souligne surtout le lien avec les boissons énergétiques consommées.
Ce cas clinique montre les dangers potentiels des boissons énergétiques, surtout lorsqu’elles sont consommées sans modération.
Absolument, il est important de sensibiliser le public aux risques cardiovasculaires associés à ces produits.
Ces cas extrêmes devraient encourager les autorités à réglementer davantage la vente de ces boissons.
Effectivement, surtout envers les personnes sans antécédents médicaux évidents.