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Sead Turcalo, doyen de la faculté de science politique de l’université de Sarajevo, est professeur de géopolitique et de sécurité internationale. Expert de la Russie, il analyse à la fois la situation en ex-Yougoslavie trente ans après l’accord de paix de Dayton, qui mit fin à la guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995), et l’influence des politiques russe et américaine, ainsi que celle de la guerre d’Ukraine, dans les Balkans.
Comment décririez-vous l’état de la Bosnie-Herzégovine, trente ans après la fin de la guerre ?
La Bosnie-Herzégovine, depuis l’accord de paix de Dayton [signé le 14 décembre 1995, à Paris], est devenue une ethnocratie. Le phénomène existait déjà, de manière implicite, sous la Yougoslavie, et bien sûr depuis la victoire électorale des partis ethniques en Bosnie [en 1991]. Ce système communautariste a conduit à la guerre, avant d’être institutionnalisé par Dayton. L’accord de paix a entériné les résultats de la guerre : la division, la purification ethnique, le génocide. Aujourd’hui, cette logique ethnocratique est encore plus enracinée qu’il y a dix ou vingt ans.
Les deux politiques nationalistes, serbe et croate, encouragent les objectifs de guerre à devenir des objectifs de paix. Du côté serbe, la politique menée en Bosnie est liée au soi-disant « monde serbe » : un espace transnational réunissant les populations serbes, soutenu par une stratégie de « passeportisation » mise en œuvre par Belgrade et par une politique d’éducation. Et la tendance ethnocratique se trouve renforcée par les revendications croates, qui portent sur une réforme électorale susceptible d’accentuer la division ethnique de la Bosnie, ainsi que sur la création de ce qu’ils appellent une « troisième entité » croate [la Bosnie, de facto divisée en trois territoires, étant officiellement, depuis l’accord de Dayton, composée de deux entités : la Fédération de Bosnie-Herzégovine, croato-bosniaque, et la République serbe].
La Bosnie s’est toujours projetée vers une intégration dans l’Union européenne (UE). Après trois décennies d’attente, qu’en est-il de cet espoir ?
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11 commentaires
Trente ans après la guerre, la Bosnie-Herzégovine semble toujours aussi divisée. Est-ce que ces conflits gelés pourraient un jour trouver une issue pacifique ?
Difficile à dire, surtout avec l’influence extérieure qui maintient ces tensions.
L’histoire montre que les divisions ethnocentriques sont tenaces. Espérons que les jeunes générations apporteront un changement.
L’analyse de Turcalo est fascinante. On voit comment la géopolitique moderne joue avec les cicatrices des guerres passées.
Oui, c’est une stratégie classique de la Russie, exploiter les faiblesses et divisions historiques.
Intéressant de voir comment Dayton a institutionnalisé les divisions. Peut-on vraiment parler de paix dans ces conditions ?
C’est une paix fragile, basée sur des équilibres instables.
Un portrait sombre de la situation, mais réaliste. La Bosnie a-t-elle les moyens de se réinventer ?
Les défis sont immenses, mais rien n’est impossible.
La Bosnie, encore prisonnière de son passé. Les leçons ne sont-elles jamais apprises ?
C’est une question que beaucoup se posent, surtout avec la montée des nationalismes en Europe.