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Davantage de primes, plus de transparence, plus de frustrations ? A partir d’enquêtes de terrain dans les entreprises de la grande distribution et du secteur bancaire, des statistiques nationales sur la structure des salaires mises au regard des déclarations annuelles des employeurs, Elise Penalva-Icher délivre une analyse très documentée de l’évolution des politiques salariales en entreprise, et en particulier du rôle des primes.
La sociologue revient sur l’origine de l’individualisation de la rémunération, étendue dans les années 1970 à toutes les catégories de personnel avec la « théorie de l’agence », qui crée les stock-options pour réaligner les intérêts des manageurs sur celui des actionnaires. En parallèle, cette période voit la fin des classifications Parodi, créées en 1945, qui liaient le salaire aux compétences en plus de la qualification.
De nouvelles sources de tension
Elise Penalva-Icher décrit ainsi « le passage d’un ordre salarial clair, certes négocié et socialement construit sur des règles et par des acteurs bien déterminés, à un épais brouillard » : trente ans de brouillage de la notion de rémunération, toujours plus individualisée.
L’autrice tente ensuite de faire le lien entre les diverses formes de rémunération et ce qu’en perçoit le salarié : se sent-il davantage valorisé ou reconnu ? Elle donne ainsi la mesure de ce que représente la dimension relationnelle dans l’évaluation des rémunérations. Les systèmes de primes élaborés pour affiner les politiques salariales ont finalement créé de nouvelles sources de tension, explique-t-elle.
« Ce que montre bien ce travail, c’est la déstabilisation et même les effets ravageurs bien connus de l’envie, que provoque la comparaison des primes et des augmentations », précise Dominique Méda dans la préface de cet essai. De quoi nourrir la réflexion des DRH à l’heure d’appliquer la transparence salariale dans leur entreprise. « On sait très peu de choses sur les effets de cette transparence », reconnaît la sociologue.
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14 commentaires
Un artikel qui fait du bien pour comprendre les négociations salariales dans les secteurs miniers et énergétiques. La fin des classifications Parodi a-t-elle vraiment été bénéfique à long terme ?
L’analyse de l’auteure sur l’individualisation des salaires est puissante. Est-ce que les rares entreprises qui gardent des grilles plus collectives ont des avantages en matière de motivation ?
La transparence des salaires est une bonne chose, mais il faut aussi s’assurer que les critères soient justes et objectifs, surtout dans des secteurs comme l’exploitation de lithium ou de l’uranium, où les écarts géographiques sont énormes.
Les différences de coûts de la vie entre les pays miniers et les sièges sociaux ne devraient pas être ignorées.
Tout à fait, et il faudrait éviter que cela ne devienne juste un outil de benchmarking sans réelle réflexion sur l’équité.
La transparence salariale est un sujet délicat, surtout dans des secteurs comme le mining et les matières premières, où les écarts de rémunération peuvent être importants. Il faudra voir comment les entreprises s’adaptent sans perdre en compétitivité.
Exactement, et avec la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, la transparence pourrait aussi aider à fidéliser les talents.
Mais est-ce que cela ne risque pas de créer plus de frustration chez ceux qui se sentent sous-payés ?
Intéressant d’évoquer l’impact des primes et des stock-options, surtout dans des industries cycliques comme l’énergie. Est-ce que cela incite vraiment à l’alignement des intérêts, ou bien cela creuse les inégalités ?
Les données montrent que les primes individuelles ont effectivement accru les tensions internes, notamment dans les trading houses.
C’est une question complexe, surtout dans des secteurs où les performances peuvent varier énormément d’une année à l’autre.
30 ans de brouillage salarial, ce n’est pas surprenant que les tensions montent. Dans les industries extractives, où les cartes syndicales sont fortes, cela pourrait s’avérer explosif.
D’autant plus que les salaires ne reflètent plus toujours les risques encourus sur le terrain.
Les employés des mines ou des centrales nucléaires méritent sans doute une attention particulière dans ce débat.