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Les manuels scolaires façonnent les critères selon lesquels les sociétés contemporaines comprennent, discutent, votent, décident et agissent. En organisant le passage de la science à l’enseignement, ils établissent ce que les épistémologues appellent la « science normale », cristallisent le consensus scientifique et forment l’armature de notre savoir commun.
Dans l’accélération de l’histoire qui dissout chaque jour nos repères institutionnels, géopolitiques et scientifiques, le rôle des manuels n’est donc déjà plus celui de nos souvenirs un peu endormis. Il est brutalement actuel.
La campagne menée par des grands groupes d’édition contre la supposée « éradication » des manuels n’éclairera pas le public à leur sujet. Elle les recouvrira plutôt d’anciens fantasmes sur l’intemporalité des formats papier ou de nouvelles confusions sur les pratiques numériques. C’est que, derrière son maigre paravent mythologique, l’édition scolaire traverse une crise majeure.
La concurrence d’une multitude de maisons a longtemps structuré ce secteur d’activité. Si elle ne traduisait qu’imparfaitement la liberté pédagogique du professeur, c’est-à-dire le droit de choisir une méthode d’enseignement, elle assurait au moins la pluralité des manuels et l’indépendance de leurs créateurs. La concentration de l’édition a mis fin à cet équilibre. Toutes les maisons significatives sont désormais détenues par trois grands groupes, et à travers eux, contrôlées en totalité par Vincent Bolloré, Daniel Kretinsky et la famille Albin Michel.
Nouvelles capacités technologiques
La fin des structures traditionnelles de l’édition scolaire entraîne la crise des organisations, des discours et des normes. Un article extrêmement documenté, publié le 9 septembre par Le Nouvel Obs, montre ainsi que les manipulations, les demi-mensonges et les fausses rumeurs font désormais partie de la communication des éditeurs d’éducation. Alors que ces pratiques ne surprendraient qu’à moitié dans d’autres secteurs, elles s’opposent ici aux principes essentiels des manuels, qui avant d’être composés d’images ou de textes, sont faits de recul, de précision et de fiabilité.
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7 commentaires
Démocratiser les manuels, c’est bien, mais cela ne risque-t-il pas de diluer la qualité du contenu enseigné ?
La qualité dépendra des garants pédagogiques mis en place, pas seulement de la multiplication des éditeurs.
Les manuels scolaires sont un pilier de l’éducation, mais leur modernisation semble inévitable. Qu’en pensent les enseignants sur le terrain ?
Les enseignants sont souvent les premiers à demander plus de souplesse dans les supports pédagogiques.
Certains défendent encore le format papier pour des raisons pratiques, surtout dans les zones mal connectées.
La crise dans l’édition scolaire montre un secteur qui peine à s’adapter. Les géants de l’édition résistent-ils à la digitalisation ?
Les éditeurs traditionnels craignent peut-être une perte de contrôle sur un marché qui évolue trop vite.