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L’AVIS DU « MONDE » – POURQUOI PAS
Le biopic d’un artiste risque la myopie, et en envisageant les choses par le petit bout de la lorgnette, d’encourir les fameux reproches que Marcel Proust fit au critique Sainte-Beuve : réduire la création à l’expression collatérale d’expériences personnelles, d’une psychologie individuelle et de ses déterminants. L’entreprise est d’autant plus redoutable lorsqu’il s’agit d’un écrivain, dont le travail confine au subliminal, à l’imperceptible. L’expérimentée cinéaste polonaise Agnieszka Holland tente le coup face à un monstre sacré, Franz Kafka.
Mais il ne suffit pas d’avoir trouvé son sosie quasi parfait (l’acteur tchèque Idan Weiss). Le film suit linéairement l’existence de l’écrivain, de sa jeunesse à sa mort, et l’on en restera globalement aux seuils et motifs les plus connus, sinon convenus, de sa vie : l’écrasant père tyrannique, les fous rires du jeune employé d’assurances, les valses-hésitations de ses amours toujours reportées, comme si importait avant tout, dans ce cadre, l’activité épistolaire, les lettres plutôt que les sens. Ne manque pas au tableau le cancrelat de La Métamorphose, qui court durant un déjeuner sur la table familiale. Jamais ici Kafka n’écrit. Tout au plus fait-il une lecture ou deux dans des salons.
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15 commentaires
Ainsi, ce film confirme la difficulté de filmer des auteurs dont l’œuvre échappe aux cases traditionnelles. Kafka n’était pas qu’un homme, il était un univers.
Le film joue la carte de la fidélité, mais l’authenticité littéraire résiste aux clichés cinématographiques.
La présence du cancrelat de La Métamorphose lors d’un dîner est un détail curieux, mais est-ce vraiment nécessaire ? Cela frôle l’écueil du cliché.
C’est un peu comme si on montrait un rond de serviette à Shakespeare pour prouver qu’il savait écrire.
Un biopic a-t-il vraiment la capacité de saisir l’indicible ? Kafka lui-même a peut-être mieux réussi ce paradoxe à travers ses écrits.
Les œuvres littéraires transcendent souvent leurs créateurs. C’est peut-être ce que le film aurait dû explorer plus en profondeur.
Holland tente de restituer une atmosphère, mais le cadre linéaire du biopic l’enferme. Kafka mérite mieux qu’une simple chronique de sa vie.
On dirait une biographie en CM1. Où est l’étrangeté, l’inconscient, qui définissent Kafka ?
La représentation de Kafka à travers ce film semble limitée, comme réduit par sa propre ombre. Un film sur un artiste doit-il strictement suivre sa vie, ou explorer l’essence de son œuvre ?
Holland a essayé de coller à la réalité, mais Kafka lui-même détestait les détails biographiques de ce genre.
Bonne question. Peut-être aurait-il été plus audacieux de transcender le biopic classique pour capter l’atmosphère kafkaïenne.
Dommage que le film ne s’aventure pas plus dans la profondeur des thèmes chers à Kafka. L’absurde, l’angoisse existentielle, tout cela est suggéré mais jamais vraiment creusé.
C’est pourtant là tout l’enjeu avec les grands auteurs : libérer l’œuvre de ses entraves biographiques.
Ce film rappelle que parfois, moins c’est plus. Peut-être aurait-il été préférable de se concentrer sur un moment clé de sa vie, plutôt que d’en faire un inventaire.
Un film précis, sur sa relation avec son père par exemple, aurait été plus puissant qu’un survol maladroit.