Listen to the article
Le commandant de la marine estonienne Ivo Värk mène une drôle de guerre, sans bataille ni ennemi. En cette matinée grise du 19 septembre, il promène sa haute silhouette le long d’un ancien entrepôt en brique rouge, vestige du commerce hanséatique, sur les quais de la base navale de Tallinn. Son visage est pâle et fatigué.
Les dizaines de pétroliers qui mouillent au large de la mer Baltique lui donnent du souci. Ce ne sont que de vieux rafiots à la coque rouillée, souvent chargés de gaz naturel ou de pétrole, qui partent ou reviennent de la Russie voisine, à seulement 200 kilomètres de là.
A première vue, rien de vraiment menaçant. « Mais on ne sait pas tout sur eux », avertit Ivo Värk. Si ces navires l’inquiètent autant, c’est parce qu’ils font bien plus que transporter du pétrole russe en contournant les sanctions occidentales. Moscou les utiliserait pour endommager des câbles sous-marins et lancer des drones. Ces navires dits « fantômes » dissimulent l’identité de leurs propriétaires derrière des sociétés-écrans et des pavillons de complaisance, et peuvent disparaître des écrans radars en éteignant leurs systèmes d’idMentification automatique (AIS). Sollicitée par Le Monde, la marine estonienne a accepté qu’un de ses exercices de surveillance soit suivi de l’intérieur. Tout ne s’est pas déroulé comme prévu.
C’est une banale mission que prépare ce matin-là l’Ugandi, un chasseur de mines gris, hérissé d’antennes, de radars, et entouré de fusils-mitrailleurs. Certains marins portent les écussons ukrainien et estonien cousus côte à côte sur leur uniforme. Tous s’activent sur le pont, retirent la housse qui protège le canon avant. Le moteur fait vibrer la carcasse d’acier du navire, les amarres sont larguées. Le voici qui fonce vers les eaux internationales. Habitué à scruter le fond de la mer Baltique à la recherche de mines posées pendant la seconde guerre mondiale, l’Ugandi est désormais attentif à ces pétroliers figés dans la houle, qui se profilent à l’horizon. « Nous sommes les yeux de la marine », annonce fièrement la commandante du navire, Greete Mänd. Sa mission consiste, ce matin-là, à vérifier l’identité d’un méthanier donnée par son AIS, qui renseigne son nom, sa position ou encore sa cargaison. Bien souvent, les navires fantômes éteignent ou piratent ce système pour masquer leur identité ou leur destination.
Il vous reste 84.55% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
12 commentaires
Des pétroliers sabotant les câbles sous-marins, c’est une menace nouvelle. Les infrastructure critiques sont-elles vraiment protégées?
Les câbles sont vulnérables, surtout avec des navires fantômes difficiles à traquer.
Je trouve choquant que ces navires puissent disparaître des radars si facilement. La transparence dans le transport maritime n’est plus qu’un vieux rêve.
C’est un problème récurrent, et les régulations devraient être plus strictes.
Comment peut-on sécuriser les infrastructures si les navires fantômes restent impunis? Questaion pressante.
Ces pétroliers fantômes montrent à quel point les sanctions peuvent être contournées. C’est alarmant pour la sécurité énergétique en Europe.
Difficile de contrôler ces navires quand ils sont cachés derrière des sociétés-écrans. Une vraie faille dans le système.
La situation rappellera-t-elle les temps des corsaires, mais avec du pétrole à la place de l’or?
Ces pétroliers ne transportent pas que du pétrole, mais aussi des drones. Quelle est la prochaine menace?
Avec cette technologie, tout est possible. Surtout si les sanctions ne fonctionnement pas.
La Russie utilise des tactiques sournoises pour contourner les sanctions. Ces pétroliers sont la preuve que la guerre économique est bien réelle.
La mer Baltique devient un terrain de jeu pour les activités secrètes russes. La marine estonienne a raison de s’inquiéter.